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Par ubu le 21 Avril 2015 à 17:56
Nous sommes le documentaire
Nous vous l’annoncions dans un précédent article : le documentaire d’auteur vit des années difficiles, même s’il ne perd ni en force, ni en qualité, ni en nombre. Progressivement évincé des chaînes de télévision nationales, il a vu ses budgets de production se réduire jusqu’au strict minimum, et de nombreux projets ne pas se faire.
La tribune que nous reproduisons à la fin de ce billet, parue dans Le Monde du jeudi 12 mars 2015, a rassemblé 1 800 signatures à ce jour. Écrite collectivement par des professionnels du documentaire de création, elle alerte sur les conséquences qu'auront les changements à l’œuvre aujourd'hui, sous l'impulsion du CNC.
En janvier 2015, l’institution annonçait en effet une réforme du « Cosip », compte de soutien à la production documentaire.
Rappelons que le « Cosip » est un dispositif de soutien à destination des sociétés de production, visant à favoriser la production d’« œuvres audiovisuelles originales à vocation patrimoniale qui présentent un intérêt particulier d’ordre culturel, social, technique, scientifique ou économique. » Pour avoir accès à ce compte de soutien, les producteurs doivent justifier de l’engagement d’un diffuseur sur le film. En effet, les chaînes ne sont pas seulement des médias de diffusion mais participent au financement des films.
S’il est difficile de résumer la nouvelle réforme en un paragraphe (voir cet article pour plus de précisions), on peut signaler, outre la création d’une commission spéciale pour le documentaire de création, que des efforts sont fait pour que les aides spécifiques à ces films cessent d’alimenter des productions qui n’ont rien à voir avec le genre, comme des magazines ou même des télés-réalité.
Mais si une partie de la réforme va dans le bon sens, elle risque pourtant de bouleverser le milieu de la production documentaire en sectorisant la profession en trois catégories : « artisans », « entrepreneurs » et « industriels ». Or, l’accent étant mis sur les documentaires dits « ambitieux », à dimension internationale, ce sont bien les « artisans » qui souffriront de cette réforme. Et s’ils ne sont pas les seuls à produire des documentaires de création, les « artisans » producteurs en produisent beaucoup.
Côté diffuseurs, puisqu’il en est évidemment question dans la tribune ci-dessous (Le Monde a choisi de publier la tribune sous le titre « France Télévisions doit donner plus de place aux documentaires d'auteur »), depuis des années les chaînes de télévision locales ont pris le relais de la diffusion de ces films, les chaînes nationales s’étant presque totalement désengagées de cette mission. Mais alors qu’il faudrait valoriser leur rôle de service public en tant que diffuseur d’œuvres documentaires originales, on leur demande de rentrer dans un schéma de coproduction trop contraignant pour leur économie.
Si demain les chaînes locales ne peuvent plus soutenir le documentaire d’auteur, et si les chaînes nationales persistent à refuser d’ouvrir des cases dédiées au genre, c'est tout un pan de la production qui va disparaître...
Un temps de parole est organisé lors du festival Cinéma du réel à Paris, le mardi 24 mars, pour débattre de ces questions (« Comment continuer à produire avec les chaînes locales ? ») et apporter des propositions dans le cadre de la réforme du Cosip. Plus d'informations à la suite de cette rencontre...
Pour signer la Tribune : http://www.lumieremonde.org/nous-sommes-le-documentaire
Voir également l'article de la Société des Réalisateurs de Films : http://www.la-srf.fr/article/pour-une-refondation-du-soutien-au-documentaire
"Vue de loin, la production documentaire française se porte bien : en 2013, environ 3000 heures de documentaires ont été produites avec le soutien du CNC ; de plus en plus de films documentaires sortent en salles de cinéma ; les formations universitaires qui enseignent le documentaire se sont multipliées ces dernières années. Les festivals rassemblent un nombre toujours croissant de spectateurs attirés par des programmations riches et diversifiées, systématiquement relayées par la presse nationale qui salue sans cesse la grande inventivité d’un genre cinématographique parmi les plus créatifs du cinéma français. Un lieu d’expression de nouvelles formes narratives et visuelles, souvent engagées, toujours en prise avec le monde.
Mais la vitalité de la création documentaire masque la grande précarité de la fabrication de ces œuvres et leur absence des chaînes de télévision nationale. Par conséquent les réalisateurs, techniciens et producteurs qui travaillent à la création de ces films le font presque toujours dans des conditions matérielles très difficiles.
Dans ces temps politiques troublés, se pose la question de la réinvention du long terme, celui qui va au delà de la surface des choses, et celle du renouvellement de la création dont le but n’est pas de “montrer le réel” ce que de multiples acteurs de la vie sociale contemporaine peuvent faire mais d’aller au delà du miroir, creuser derrière ou sous le réel, rendre compte de sa complexité, de ses paradoxes. Ce champ là, évidemment non réductible à des normes, est une expérience. On ne la trouve plus sur les chaînes publiques soumises au formatage et de moins en moins sur Arte qui réduit le nombre de films ayant cet objectif à peau de chagrin. Peu à peu, parce que c’est une politique insidieuse, ces films, réalisés par des cinéastes débutants comme confirmés, sont visibles uniquement dans les festivals, les médiathèques ou sur des chaînes locales.
Nous, réalisateurs, producteurs, techniciens, diffuseurs locaux, associations, directeurs de festivals, médiathèques, enseignants, qui créons, montrons et étudions ces œuvres, pensons qu’il est grand temps de rebâtir une politique en faveur d’un documentaire affranchi du formatage télévisuel.
Si l’air du temps est au marché, à la vertu de la concurrence et du financement privé, il faut rappeler que le documentaire de création n’existe que par la volonté des pouvoirs publics et que son économie provient presque exclusivement de l’argent public. Et lorsque l’on parle de financement provenant des chaînes hertziennes, les piliers de la diffusion documentaire sont France Télévisions et Arte dont les budgets respectifs sont financés par les contribuables à hauteur de 88% pour France Télévisions et de 95% pour Arte. C’est donc bien d’un débat public qu’il s’agit.
Or tous les films d’auteurs sont soumis à la règle qui limite à 50 ou 60% le financement public quel que soit leur mode de production : documentaire audiovisuel ou long métrage cinématographique. Ces derniers ne bénéficient même pas, du point de vue du droit social, des souplesses accordées aux longs métrages de fiction. Le documentaire est-il à ce point dispensable aux yeux des pouvoirs publics qu’on le passe par pertes et profits dès lors qu’il s’agit de réguler durablement le secteur ? Osons la transparence, la vérité de l’audace et la déflation des budgets lorsque les grandes chaînes et les financeurs dits « de marché » ne s’engagent pas sur ces films, et exigeons qu’ils soient exonérés de ce plafond d’aides publiques. Rien ne l’empêche en réalité sauf la volonté politique, il suffit pour s’en convaincre de regarder ce qui se passe chez nos voisins soumis aux mêmes règles communautaires.
Chaque année France Télévisions participe à la production d’environ 1000 heures de « documentaire ». Est il normal qu’elle ne consacre pas au minimum 100 heures par an à des auteurs et à des films qui sont salués partout ailleurs ? Est-il acceptable qu’elle ne joue pas son rôle démocratique de donner à son « grand public » la possibilité d’avoir accès aux œuvres les plus exigeantes, engagées et inventives de notre époque ? A titre d’exemple, de 2010 à 2012, sur les 143 films documentaires français sélectionnés dans les trois plus grands festivals nationaux du genre, seuls 3 ont été coproduits par France Télévisions !
Cette situation n’a rien d’irrémédiable, rappelons qu’à l’échelle de la Suisse romande la RTS achète chaque année 12 à 20 films issus des sélections du principal festival documentaire suisse.
Aujourd’hui la plupart des films ambitieux artistiquement sont coproduits avec des chaînes locales qui remplissent, avec des moyens dérisoires, cette mission de service public laissée à l’abandon, alors qu’elle figure dans leurs cahiers des charges, par France Télévisions et Arte.Ce travail d’utilité publique doit être reconnu et soutenu par les pouvoirs publics. Ainsi certaines chaînes locales, celles qui soutiennent réellement la création, pourraient être dotées d’une part minime de la redevance audiovisuelle qu’elles auront l’obligation de consacrer à la production de documentaires d’auteur. A titre d’information les radios locales bénéficient de 29 millions € de la redevance audiovisuelle quand France Télévisions en capte 2 milliards 485 millions €. Ce minuscule transfert ne serait au fond qu’un léger rééquilibrage face à celui nettement plus massif qui a vu les diffuseurs les plus fragiles économiquement prendre en charge, de manière quasi exclusive, le financement des entreprises artistiques les plus risquées et le renouvellement des talents.
Ce texte est cosigné par plus de mille professionnels du documentaire issus de tous ses métiers et de l’ensemble du territoire. Ils appellent collectivement le Ministère de la Culture, le CNC, et les chaînes du service public de l’audiovisuel à une réorientation véritable de leurs politiques vers les œuvres de création."
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